mercredi

Légion d'honneur à Fernando Arrabal


Le clou de la soirée à la Fondation Cartier pour l'art contemporain… Jack Lang allait remettre la légion d'honneur à… Fernando Arrabal . Arrabal accepte cette distinction créée par Napoléon, Surprise d'autant que la nomination d'Arrabal remonte au 14 juillet 2005. Au jour J et à l'heure H, les invités se pressent. Les femmes sont toilettées. Jack Lang est impeccable: blazer bleu, chemise rose avec cravate noire. Son teint buriné capte la lumière des caméras. Son cou se tend de façon inimitable vers son interlocuteur. La salle est pleine. Beaucoup de PTI (personnes très importantes) : Michel Piccoli est en retrait, tout discret, Christine Angot royale, Pierre Bergé virevolte, Jean-Marie Colombani, le directeur du Monde scrute, Michel Houellebecq rase les murs, baissant la tête comme marchait feu Pacadis, Agnès Varda est entourée et d'autres comme Viviane Forrester, Pierre-André Boutang, le directeur du CNC etc. attendent le début de la cérémonie. Le silence se fait. Jack Lang attaque. Il chausse ses lunettes, cisèle ses phrases. Il a toujours son truc épatant des trois adjectifs avec inflexion crescendo, mais dans la sobriété ici. Pas plus de 7 min . Une fois la médaille remise… Arrabal a prévu « trois heures de discours, mais n'en fera qu'une ». Cet génie de 74 ans parlera finalement une dizaine de minutes. Il pétille autant que la première fois où l'on s'est croisé, en 1983, à Linares. Lui et l'organisateur Rentero étaient du pain béni pour la presse espagnole! Il mentionne le jeu d'échecs, cite des jeunes champions que personne, dans la salle, en dehors de lui et moi ne connaît, me prend à témoin. Regards convergents… Son allocution passe enfin en revue tous les géants de la culture qui l'ont façonné (voir son site). Sa carrière est longue, il joue à saute-mouton avec les années. Il conclut par un « viva la muerte, viva la suerte » chaudement applaudi. . Mais que la fête commence. Jack Lang donne le top départ du champagne, du vin, des asperges chaudes et autres régalades. Les mondanités vont débuter. Le tourbillon autour des tables de cocktail commence. Paris est magnifique de la terrasse, au huitième étage. Jack est très entouré. Détendu. Sollicité, évidemment. Arrabal est au top de sa forme, sous les flashes également. Il raconte beaucoup d'anecdotes: Spassky, pressenti pour la légion d'honneur, qui la refusa puis se rétracta - mais trop tard - quelques années plus tard. Sa visite de kibbitz en 1973 dans un championnat d'URSS grâce à une ancienne correspondante de l'AFP lui ayant obtenu une place. Les derniers invités s'éparpillent. Beaucoup attendent le ballet de taxis. N ous sommes à Hollywood. Rideau
Allocution de ernando Arrabal
[Note de l'auteur : J'ai lu mon allocution, comme d'habitude, en l'abrégeant ou l'allongeant ; et en la parant des roucoulements de l'improvisation.] :
« Voilà 480 ans, dit la légende, s'échappa de sa demeure, ses colombes et ses immortelles une petite fille extra-terrestre d'Avila, Thérèse. Elle aimait le théâtre, transportée par ses frissons. Elle était fascinée par le jeu d'échecs et ses tourbillons. Des siècles plus tard elle deviendra la sainte patronne de l'art-science de l'échiquier, celui de Marcel Duchamp. Après plusieurs jours de fugue elle aurait déclaré aux alguazils qui l'avaient découverte : « Je m'échappais loin de chez moi pour trouver les douleurs et les grâces du 'destierro', à Paris… pour conquérir la gloire'. Aujourd'hui, la dixième joueuse du monde, une autre petite fille extra-terrestre, cette fois âgée de douze ans et championne de Chine, Yifan Hou, répète que son rêve est de 'vivre la modernité, émigrée à Paris'.



« Ils ont tous émigré (ou disons beaucoup). Ils sont arrivés en exil pour, finalement, créer la Modernité. Luis Vives et Ignace de Loyola ainsi que Tommasso Campanella (mort à Paris le 21 mai 163 9), et mille autres, furent les précurseurs. Dès le début nous avons été très nombreux, nous autres Espagnols : Miro la grâce, Dali la connaissance, Juan Gris la découverte ou Picasso la joie. {Quand Michel Houellebecq et moi avons corrigé mon texte [au Dôme -café culte et de tradition - une heure avant la cérémonie] il a préféré que j'accole le 'commerce' au nom de Picasso}. Puis viendront les lions de salon ou les minets de la jungle et de tout feuillage comme le Russe Alekhine, le polycéphale Bourbaki, l'Italien Modigliani, le Roumain Tzara, le Tchèque Kundera, ou le 'Réunionnais' Houellebecq {cette fois, celui-ci a voulu que je le nomme (avec plus d'exactitude) , 'créole'}.
« Mais surtout au coeur de la Modernité a été créé le seul théâtre d'aujourd'hui qui traverse les frontières. Un théâtre qui met en scène la renaissance, le frémissement et la terreur de la littérature contemporaine. Un théâtre qui, par ses griffes et ses prévisions, annonçait hier la disparition des titans et la venue des dieux. On nous a baptisés de diverses manières. De la façon la plus infamante on a voulu claquemurer nos œuvres dans la caserne "avant-garde". L'appellation qui a le plus ébranlé les paradoxes ('théâtre de l'absurde') n'a pas enthousiasmé Beckett. En recevant le livre d'Esslin et en nous voyant, nous, les quatre pionniers de cette aventure, sur la couverture du livre fondateur, il m'a dit: 'Théâtre de l'absurde, quelle absurdité!' {Ici, Houellebecq m'a demandé de prolonger ma revue des nourrices et des berceaux de notre théâtre (Depuis les catacombes de Saint-Germain jusqu'au off off de New York) Et pendant une heure au moins. [Je tiens à rassurer l'auditoire en affirmant que je ne mettrai pas en pratique ce conseil. Bien que Michel Houellebecq, changeant d'opinion, ait répété : "il faut tenir trois heures"]}
« Avant de faire don de sa personne (hélas !) à la République Française, Jack Lang a été le premier à célébrer avec du laurier et des éclairs les fêtes et rites de la scène avec son Festival de la modernité théâtrale. Avec quel plaisir j'ai pu parcourir en compagnie de 'Jack et Monique' les scènes et vigies de Chiraz, Belgrade, Edimbourg, Valence (Californie), Caracas ou Tokyo. Malheureusement aujourd'hui je ne les vois plus dans les « barracas » et sur les tréteaux du grand théâtre du monde, …enchaînés qu'ils sont au char de l'Etat.
« Nous, les dramaturges qui avons conçu ce théâtre de la modernité nous étions ou sommes des exilés: l'Irlandais Beckett, le Roumain Ionesco, le Russe Adamov ou le Polonais Topor. Au nom de tous j'ai reçu mercredi 29 novembre l'honneur légionnaire (la Légion d'Honneur) qu'ils méritaient infiniment plus que moi, et précisément des mains de Jack Lang. { « Découverte scientifique : l'effet magique de la Légion d'Honneur voyage à la vitesse du son et non de la lumière » me dit, tout heureux (mais oui !) Houellebecq, depuis l'appel de Mirto.}
« Dans notre théâtre seul l'ours pelé s'accouple avec la tortue "décarapacée ". Mais sous le volcan.
« Le chant des choristes laquais empeste sous le ventilateur du pouvoir.
« Loin de "notre théâtre" le scribouillard officiel écrit à la sueur de son front, atteint de rhumatismes
« Nous 'desterrados' (et fondateurs de la modernité) vivons éparpillés en exil, avec humilité, campanules et couronnes. Ou nous nous réunissons en groupuscules de roc blindé. Nous sommes, comme les petites filles extra-terrestres, Thérèse d'Avila et Yifan Hou de Pékin, tous les mêmes, ceux d'hier, d'aujourd'hui et de demain, les sages et les fous, les héros et les insensés. Nous ne sommes pas venus pour vivre mieux ou moins mal, car nous nous efforçons d'appartenir à le légion des quichottes, des chevaliers errants, avec des paroles de beauté et de science et d'humour. VIVA LA SUERTE » F.Arrabal.